Audit indépendant des régies financières au Sénégal : une réforme structurelle urgente pour nouvelle ingénierie financière publique – Par Souleymane Zakaria Cissokho

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Le dernier rapport de la Cour des comptes du Sénégal sur la période 2019–2024 a révélé une vérité que beaucoup connaissaient, mais que peu d’autorités publiques, privées, experts, intellectuels de ce pays osaient dire à haute voix : la gestion de nos régies financières est défaillante sous un emballage de performance apparente. Derrière les tableaux de recettes, les sigles administratifs et les discours technocratiques, ce sont des milliards qui échappent au Trésor, des privilèges fiscaux distribués sans transparence, et une gouvernance publique qui peine à tenir ses promesses. Alors que le pays tente de se redresser après une période de surendettement alarmant, la situation financière du Sénégal continue de se détériorer : sa note de crédit ne cesse de baisser sur les marchés internationaux, rendant la situation de plus en plus insoutenable. Au 31 décembre 2023, la dette publique totale s’élevait à 18 558,91 milliards de FCFA, représentant 99,67 % du PIB, un niveau bien supérieur aux 74,41 % annoncés par le précédent gouvernement. Cette dette se compose de 11 864,20 milliards de FCFA de dette extérieure et de 6 694,71 milliards de FCFA de dette intérieure. Ce qui constitue une situation très préoccupante, car une part significative de cette dette a été contractée en dehors des circuits budgétaires classiques, sans approbation parlementaire, notamment à travers des conventions de financement signées par les différents ministres des finances qui se sont succédé.
Il est devenu aujourd’hui impératif de lancer sans délai un audit indépendant, rigoureux et transparent des régies financières du Sénégal. Car dans leur configuration actuelle, ces structures souffrent de dysfonctionnements systémiques qui entravent leur efficacité, leur cohérence et leur capacité à répondre aux exigences de bonne gouvernance financière. Il s’y ajoute également que le manque d’intégration entre les différentes régies et leur l’opacité dans la gestion des ressources, ainsi que l’absence d’indicateurs clairs de performance compromettent non seulement la lisibilité de l’action publique, mais affaiblissent également la mobilisation optimale des ressources internes.
Cet audit s’impose donc comme un levier stratégique pour identifier les failles, rationaliser les procédures, renforcer les mécanismes de contrôle et garantir une transparence indispensable à la confiance des citoyens, des partenaires techniques et financiers, et des investisseurs. C’est à ce prix que l’État pourra poser les bases d’une réforme en profondeur de ses finances publiques, au service du développement durable et de la souveraineté budgétaire et fiscale.
Pourquoi un audit indépendant est-il impératif ?
La situation actuelle des régies financières du Sénégal, à savoir la Direction générale des Impôts et Domaines (DGID), la Direction générale des Douanes (DGD) et la Direction générale du Trésor et de la Comptabilité publique (DGTCP) met en lumière des dysfonctionnements persistants qui compromettent l’efficacité de la mobilisation des ressources domestiques, la transparence de la gestion publique et la soutenabilité budgétaire du pays. Alors que le Sénégal compte rentrer dans une phase décisive de transformation économique et de maîtrise de son endettement, il est urgent d’assainir les fondations de sa gouvernance financière. Car les faiblesses structurelles, les cloisonnements fonctionnels, les pratiques managériales peu performantes et le déficit de redevabilité nuisent la capacité de l’État à planifier, exécuter et suivre efficacement la mise en œuvre de ses politiques publiques. Pour ce faire, il s’agira dans cet objectif d’audit indépendant, transparent et rigoureux des régies:
− D’évaluer objectivement l’efficacité opérationnelle, organisationnelle et financière de chaque régie.
− D’identifier les failles systémiques, les chevauchements de compétence et les points de rupture dans les chaînes de valeur financières.
− De proposer des pistes concrètes de réforme pour une meilleure intégration, une gestion axée sur les résultats, et une gouvernance alignée sur les standards internationaux de transparence.
Tout d’abord, le résultat attendu de cet audit est de disposer d’un cadre de gouvernance économique et financiere bien assaini. Pour ce faire, il s’agira de rompre avec un certain archaïsme des pratiques de conception, d’analyse et de gestion des finances publiques et de créer une belle chorégraphie de financements des investissements publics a fort impact économique et social dans une nouvelle architecture économique fondée sur l’éthique du bien commun, pierre angulaire de la transformation systémique nationale. Dans cette optique, l’audit indépendant des régies financières doit viser une meilleure cohérence entre les choix stratégiques et l’exécution des politiques publiques.
Au plan économique, en période post-surendettement, chaque franc mobilisé compte. Le Sénégal, confronté à des marges budgétaires étroites, ne peut plus se permettre de laisser s’échapper ses ressources précieuses. En effet, restaurer la capacité de l’État à financer ses politiques publiques dépend avant tout d’une collecte efficace, équitable et transparente des recettes.
Du point vu morale, le citoyen contribuable a le droit de savoir comment son argent est utilisé. Il n’est plus acceptable que des privilèges fiscaux illégitimes, des détournements ou une mauvaise gestion pénalisent la majorité au profit d’une minorité.
Dans ce cadre, il s’agit pour les nouvelles autorités de commanditer un audit indépendant, mené par des experts nationaux et internationaux sans lien organique avec les régies concernées, car aujourd’hui c’est la seule garantie d’une évaluation impartiale, crédible et opérationnelle. Les différents arguments stratégiques qui justifient cet audit indépendant sont les suivants et il s’agit :
− De la nouvelle ingénierie financière publique
Face aux dysfonctionnements structurels mis en lumière dans les régies financières, la nouvelle ingénierie financière publique doit incarner une rupture stratégique articulée autour des piliers essentiels de cette nouvelle architecture suivante :
o La réintégration des principes la transparence, d’exhaustivité, de sincérité budgétaire et de la redevabilité
o L’unification et l’interopérabilité des régies financières
o L’implementation de gouvernance par la performance et la contractualisation
o La digitalisation complète de la chaîne de dépense publique
o Le renforcement du contrôle citoyen et parlementaire
o La professionnalisation et une transformation éthique des ressources humaines

− Un levier de réforme structurelle :
L’audit permettra de diagnostiquer les goulots d’étranglement, de rationaliser les fonctions entre régies et d’élaborer une architecture modernisée des finances publiques, adaptée aux exigences du pilotage par la performance.
− Un impératif de souveraineté financière
Dans un contexte de réduction de la dette et de revalorisation des ressources internes, améliorer la performance des régies est une condition non négociable pour renforcer l’autonomie budgétaire de l’État.
− Un gage de transparence et de redevabilité
La crédibilité des régies financières repose sur leur capacité à rendre compte. A ce titre, un audit indépendant est un signal fort envoyé à la population, aux partenaires techniques et financiers, et aux marchés.
− Une opportunité d’innovation managériale
L’audit peut déboucher sur des recommandations pour une modernisation des outils, des ressources humaines, des systèmes d’information et des procédures de contrôle interne.
− Un préalable à toute relance économique durable
Aucune politique de relance, de transformation systémique ou d’industrialisation ne peut prospérer sans une assise financière solide, lisible et équitablement redistributive.
− De réparer une machine fiscale désuète
La Direction générale des Impôts, la Douane, le Trésor sont des régies censées être les moteurs de la mobilisation des ressources publiques. Pourtant, les audits successifs de la Cour des comptes pointent des failles systémiques : recettes détournées, exonérations illégitimes, procédures contournées, faible traçabilité et recouvrement inefficace. Ces dysfonctionnements ne sont pas des accidents, mais le produit d’un système où l’opacité, l’absence de redevabilité et l’impunité se sont durablement installées. Résultat : l’État s’endette pour financer ce qu’il devrait pouvoir assumer avec ses propres ressources. Et le citoyen paie, sans savoir où va son argent.
− De poser un acte fondateur de la rupture et de la transformation systémique fort attendu
Un audit interne n’y suffira pas. Trop de conflits d’intérêts, trop de complaisance. Car seul un audit indépendant, mené par des experts hors du périmètre administratif traditionnel, avec mandat public robuste et clair, peut établir la vérité. Il ne s’agit pas de chercher des boucs émissaires, mais de réparer un système brisé pour mettre en place une nouvelle ingénierie financiere publique à l’aune de sénégal Horizon 2050. Ce serait un signal fort envoyé aux citoyens, aux contribuables, aux investisseurs et aux partenaires internationaux : le Sénégal est capable de se regarder dans le miroir, de nommer ses failles, et d’y remédier.
− De dessiner les contours d’une nouvelle justice fiscale
Le plus grave, ce n’est pas seulement ce que l’État perd. C’est l’injustice que cela génère. Quand certains échappent à l’impôt ou bénéficient d’exonérations injustifiées, d’autres paient le double. Pendant ce temps, l’école manque de manuels, les centres de santé s’écroulent sous le poids du délitement d’un systémique sanitaire devenu obsolète, les jeunes peinent à trouver de l’emploi, et les collectivités se retrouvent avec des moyens d’interventions très limites. Ainsi le fait de rétablir l’équité fiscale, c’est restaurer la confiance entre l’État et les citoyens. C’est la base même d’une démocratie moderne. C’est aussi un enjeu central de la vision Sénégal 2050, car elle ne peut pas se reposer sur une gouvernance économique d’apparence avec contenu aussi fragile. Alors la volonté de transformation systémique nécessite de changer les usages et les visages dans la quête d’une nouvelle architecture économique et financiere du pays.
− D’avoir le courage de dire stop
L’histoire retiendra ceux qui auront eu le courage de dire stop. Stop à l’opacité, stop à l’indulgence administrative, stop à l’hémorragie financière. L’audit des régies financières est bien plus qu’un exercice technique : c’est une exigence de souveraineté, de justice, de responsabilité. Il ne tient désormais qu’aux autorités politiques et à la vigilance citoyenne de faire de cette exigence une réalité.
− De sortir du cycle de l’impunité : vers une gouvernance fiscale refondée
Les tentatives de réforme internes ont montré leurs limites. Tant que les mêmes acteurs seront juges et parties, aucune réforme profonde ne pourra aboutir. L’audit doit donc:

  • Identifier les failles systémiques : corruption, manque de traçabilité, inefficacité des systèmes de recouvrement, etc. ;
  • Quantifier les pertes financières dues aux pratiques irrégulières ou aux défaillances de gestion ;
  • Évaluer la performance réelle des directions clés comme les Douanes, les Impôts, le Trésor, la CDC, l’IPRES, CSS etc. ;
  • Formuler des recommandations concrètes pour moderniser, numériser, restructurer et surtout assainir les régies financières.
    Mais cet audit ne doit pas être un simple exercice de forme. Il doit être accompagné d’un plan d’action public, d’un calendrier de réformes contraignant, et surtout, d’un engagement politique fort au sommet de l’État.
    − De donner un signal fort aux citoyens et aux partenaires internationaux
    Le lancement d’un audit indépendant constituerait un acte de rupture fort. Il démontrerait en plus, que le Sénégal est prêt à affronter ses vulnérabilités avec courage, transparence et responsabilité. C’est aussi le meilleur moyen d’envoyer un signal positif aux partenaires techniques et financiers, dont le soutien futur dépendra largement de la capacité du pays à réformer sa gouvernance économique. C’est enfin, et surtout, un acte de justice envers les citoyens, qui supportent le poids de la fiscalité sans en voir les retours en termes de services publics de qualité.
    − De poser une déclinaison opérationnelle de la Vision Sénégal 2050
    La Vision Sénégal Horizon 2050, qui ambitionne de construire les bases d’une économie souveraine, inclusive et résiliente, ne peut se traduire sur une base institutionnelle fragile. Refonder les régies financières, c’est bâtir les fondations d’un État stratège, transparent et performant, capable de mobiliser ses ressources internes pour investir durablement dans le développement.
    Conclusion : l’heure du choix
    Le Sénégal est à la croisée des chemins. Fermer les yeux sur les alertes de la Cour des comptes, c’est entériner l’impunité. À l’inverse, lancer un audit indépendant, c’est choisir la rigueur, la transparence et l’ambition. L’histoire se souviendra de ceux qui auront osé rompre avec le statu quo pour construire une gouvernance plus juste, plus crédible et véritablement tournée vers l’avenir.

Souleymane Zakaria Cissokho, Economiste-financier, Expert en Evaluation économique et financière de projets, Administrateur général du Cabinet Prospect

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